Le mois dernier s’est tenu le sommet de l’IA le 10 et 11 février, c’est donc l’occasion de revenir, dans cette veille de Waitack, sur l’actualité de l’IA et ses effets sur le travail. Nous reviendrons dans ces lignes, ci-dessous, sur les principales déclarations qui ont été faites lors du sommet, mais aussi sur les projets déjà en cours pour l’utilisation d’une IA « éthique » et respectueuse des conditions de travail. 

D’une IA « éthique » à une « IA des lumières »

Le sommet pour l’action sur l’IA vise à encourager la coopération et la réglementation de l’IA entre les différentes nations. Il s’est tenu cette année à Paris le 10 et 11 février. Les principales annonces qui ont été faites lors de cette nouvelle édition sont :   

  • Un investissement de 109 milliards d’euros, principalement de fonds privés, dans des entreprises et infrastructures numériques françaises. Ce montant doit permettre la création d’un « campus » sur l’IA et la construction de data centers en France.
  • L’annonce par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, d’un plan d’investissement, à hauteur de 200 milliards, dans le secteur de l’IA européenne. 150 milliards de cet investissement sont de fonds privés, notamment de groupes industriels (Airbus, L’Oréal, Mercedes, Siemens…) et technologiques (Spotify, Mistral AI…), qui souhaitent coopérer avec la Commission européenne et ses Etats membres sur la création d’un cadre réglementaire de l’IA, permettant le développement d’innovations autour de l’IA.
  • La signature par une soixantaine de pays, ainsi que l’UE et l’Union africaine, d’une déclaration, pour défendre la création d’intelligences artificielles « ouvertes », « inclusives » et « éthiques ». Les signataires s’engagent à étudier les effets du développement des IA sur l’environnement, l’économie et le marché de l’emploi. 
  • La création d’un partenariat, Current IA, pour une IA « d’intérêt général ». Il doit permettre « la création de bases de données privées et publiques dans des domaines comme la santé et l’éducation, mais aussi des outils et des infrastructures publiées en sources ouvertes, pour rendre l’IA plus « transparente et sécurisée » »
  • La création de coalitions pour défendre des IA « soutenables » et le « bien-être » des enfants : La « Coalition pour une IA soutenable » doit fédérer les initiatives permettant de réduire l’impact environnemental des IA;  et la coalition internationale « pour protéger le développement des enfants à l’ère de l’IA » doit travailler à la protection des enfants contre des contenus violents ou entravant leur développement cognitif ou émotionnel, produits par l’IA.

En parallèle des déclarations de ce sommet, dans un rapport publié par Cap Digital, Francis Jutand1 mettait en garde contre les grandes plateformes essentiellement américaines (les GAFAM) qui ont imposé le rythme de cette transformation technologique. La majorité des textes qui traitent d’IA se calent sur ces grands groupes et tendent à négliger les  problématiques autour de la confiance, d’éthique, de souveraineté et de durabilité.

Cap Digital, collectif européen d’innovateurs du numérique, prône le développement d’une « IA des lumières »  : une IA qui doit être systémique, associant les sciences et techniques de la matière et du vivant, l’économie, la sociologie, la philosophie et la spiritualité, la politique et l’éthique. Le rapport propose ainsi 13 propositions d’actions pour agir à la fois sur l’urgence à court et long terme : 

  1. Création de l’Alliance nationale pour le développement d’une IA de confiance , éthique et souveraine
  2. Faire émerger la puissance collective au niveau français et européen avec la création de consortiums
  3. Mettre en accord des entreprises et des équipes de recherche autour d’objectifs ou de programmes ambitieux
  4. Inciter et accompagner les entreprises dans l’anticipation et la mise en œuvre de l’IA
  5. Développer avec les instituts de formations publics et privés des cursus pour former au nouveaux métier de l’IA
  6. Développer un espace européen de l’IA souverain, éthique et de confiance
  7. Créer d’une base de données publiques et d’intérêt général
  8. Soutenir des programmes de recherche et des chaires en partenariats avec les entreprises
  9. Création d’IA génératives de bien commun
  10. Dans une économie de la connaissance, booster les capacités d’enseignement, de recherche et de vulgarisation
  11. Mise en place de de missions de prospective de de longue durée
  12. Participer à la formation d’une éducation sur l’IA qui aborde l’évolution des savoirs et des outils pour affronter la complexité croissante des informations et des connaissances
  13. L’IA des Lumières doit permettre d’éclairer nos décisions sur les enjeux économiques, environnementaux et sociaux

L’IA et le travail

Concernant plus concrètement le travail, on peut également citer le projet Dial (Dialoguer sur l’IA) qui est porté et coordonné par l’IRES, avec le soutien d’ULTRA LABORANS et co-financé par l’ANACT (Fabrique CTO). Ce projet a réuni pendant 18 mois une cinquantaine de participants, du monde syndical et patronal, des entreprises comme des administrations publiques et accompagnés d’experts et de chercheurs. Il a permis de produire deux livrables, un manifeste commun en faveur du dialogue social technologique et un livrable sous forme de webdoc destiné d’une part à l’acculturation de toutes les parties prenantes  : 

  • Le manifeste rappelle que « l’intelligence artificielle, comme toute autre technologie, ne peut avoir comme seule finalité la rationalisation économique ». Les SIA (Systèmes d’Intelligence Artificielle) doivent être développés à partir du travail réel pour réduire les risques qu’ils deviennent des contraintes supplémentaires pour les travailleurs, pouvant contribuer à la perte de sens, voire conduire à l’obsolescence humaine. Cela passe notamment par le dialogue social qui est encore trop souvent absent des réglementations françaises ou européennes sur l’IA. 
  • Le livrable propose dans une première partie des définitions, des représentations et des ressources pour appréhender les innovations de l’informatique contemporaine sous l’angle du dialogue social. La seconde partie est à visée opérationnelle, elle s’adresse plus spécifiquement aux représentants du personnel et syndicaux ou toute autre personne impliquée dans des actions relatives à l’introduction d’un dispositif d’IA au sein de son organisation. Il permet de mettre en place une méthodologie de « dialogue social technologique » adaptée aux spécificités des SIA.

Enfin dans une tribune parue dans Le Monde, le 18 février, Marion Beauvalet2 et Lucie Rondeau du Noyer3 reviennent sur les effets supposés de l’IA sur l’intensité du travail. Les deux chercheuses proposent d’analyser ce débat à travers les recherches menées à la fin des années 1960 par le sociologue américain Harry Braverman, qui démontrent que l’innovation technologique pouvait très bien réduire l’effort humain nécessaire à la production et, en même temps, aboutir à une dégradation de la situation des salariés. 

Ainsi, les gains de productivité de l’IA ne se traduisent pas forcément par une diminution des horaires ou de l’intensité du travail. L’IA peut permettre à des salarié·es de travailler plus vite, en travaillant à partir de textes, d’images ou de codes, mais cela change également leur travail : « on leur demande de contrôler ce que produit l’IAG ((Intelligence artificielle générative) ». Ce changement est-il un progrès pour les salarié·es ? Pour Marion Beauvalet et Lucie Rondeau du Noyer, c’est la que se trouve le vrai débat sur le travail et l’IA, sur « la manière dont la coexistence des humains et des IAG va être organisée ». Est ce que les nouvelles conditions de travail des nouveaux emplois seront meilleures que celles des anciens ?  

1 Cofondateur de Cap Digital
2 Chercheuse à l’université Paris-Dauphine-PSL
3 Chercheuse au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired)

Waitack - Alexandre Butin

Alexandre Butin,

Consultant chercheur

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