Les enjeux du télétravail pour le travail de management et syndical
Louis Erb1, Caroline Diar2 et Emmanuelle Lavignac3 étaient les invité·es du nouvel épisode de l’émission Perspectives (la nouvelle émission de l’Ugict CGT animée par Clément Olivier) pour échanger sur leur travaux à l’Observatoire du Télétravail et l’actualité autour du travail hybride, notamment avec les annonces de la réduction du télétravail dans certain grand groupe de la « tech ». Louis Erb rappelle que ces annonces sont loin de représenter la tendance actuelle où l’on observe plutôt une pérennisation du temps de travail. Cette décision de faire revenir les salarié·es sur site traduit selon les intervenant·es d’une volonté des directions de réaffirmer une certaine forme de contrôle sur le travail des salarié·es, malgré que ces dernières soient plus productives en télétravail. Les intervenant·es mettent en garde des effets négatifs que ce retour au bureau pourrait avoir sur les salarié·es, notamment dans des espaces de travail considérés·es comme inadaptés pour la réalisation du travail de ces dernier·ères.
Pour Emmanuelle Lavignac, le télétravail n’est pas un acquis social, mais il a néanmoins permis aux salarié·es de se réapproprier une partie de la gestion de leur temps de travail. C’est une des raisons qui expliquerait les mobilisations sociales à Ubisoft après l’annonce de réduire le télétravail. Les salarié·es de l’entreprise ont milité pour garder la maîtrise de ce temps de travail. Caroline Diar souligne également que ces décisions de réduire le télétravail pourrait rompre le « contrat psychologique » entre l’employeur et les salarié·es et entraîner des « démissions silencieuses » dans des entreprises pourtant à la recherche de talents.
Si l’émission souligne la difficulté des directions à faire confiance à leur salarié·es en télétravail, cette pratique de travail représente aussi un défi pour les syndicats qui ont dû s’adapter aux nouvelles pratiques du travail à distance. Dans son article, Réguler et pratiquer le (télé)travail à distance : syndicalistes et télétravail dans les services, paru dans la revue de l’INRS, Sophie Louey4 revient sur le « travail d’organisation » des représentant·es syndicaux·les dans le secteur de l’assurance et de l’assistance, pendant et après le confinement. Le télétravail s’est accompagné d’une transformation de l’organisation du travail, où les salarié·es se sont vu être équipés d’outils numériques pour travailler de façon mobile, sans avoir de bureaux fixes. Les syndicats ont dû également s’adapter à ces nouvelles pratiques de travail numérique pour continuer à faire leur travail syndical. La mise en place du travail hybride leur à permis de réaliser plus facilement certaines tâches, mais les représentant·es syndicaux·les regrettent néanmoins que le télétravail crée un éloignement avec les salarié·es.
Repenser notre usage des espaces de travail
Un autre sujet souvent abordé avec la pérennisation du télétravail est celui de l’occupation des espaces de travail, que faire des bureaux vides ? En 2024, le coût d’un poste de travail de 1 1900 euros (soit 615 euros/m²), une hausse depuis 2022 qui s’explique par l’inflation des prix après le confinement, comme l’explique Charlotte Mathelier5 dans le podcast Déchiffrage de Workplace Magazine (animé par Manon Touchard). Pour limiter les effets de l’inflation, Hubert Labouche6, invité également du podcast, explique que les entreprises ont donc réduit et optimiser leur parc immobilier qui représente 60% du coût d’un poste de travail.
Cette baisse de l’occupation des bureaux a un impact direct sur le commerce de quartier. Dans le JT de 20h de France 2, du 26 novembre 2026, un reportage revenait justement sur cette baisse d’occupation dans le quartier de la Défense où de nombreux commerces et restaurateurs ont mis la clef sous la porte. Pour éviter que 40% des tours se retrouvent vides dans 10 ans, le quartier doit se réinventer.
Dans cette perspective, l’étude prospective de Colliers, l’Odyssée 2040, réalisé par Laetitia Baldeschi7, Audrey Abitan8 et Cassandra Coman9, propose trois scénarios immobiliers pour faire face la baisse de la population en âge de travailler, à la vacance immobilière importante et inégalement répartie et aux enjeux environnementaux :
- Tour de contrôle et satellites : Ce premier scénario doit permettre de faire face à une population de plus en plus nomade et flexible. Les entreprises gardent des bureaux dans le centre ville qui font office de vitrines centrales (« tour de contrôle ») et disposent également de « site satellite » flexible et géographiquement ciblé pour le travail à distance.
- Polarités régionales apparentes : Avec la dispersion de l’activité sur territoire, le deuxième scénario proposé par Colliers consiste à la création de pôle de compétence et d’innovation autour des universités et écoles d’excellence. Ce modèle doit permettre de soutenir un besoin continu de formation des entreprises.
- Hub collaboratif & tiers-lieux : Le troisième scénario proposé doit permettre de répondre aux enjeux de sobriété énergétique. Il préconise la création de « hubs de travail centraux » dans un lieu bien desservi par les transports pour permettre aux collectifs de se retrouver. A cela s’ajoutent des tiers-lieux corporate au sein d’un réseau de coworking aménagé en zone périurbaine pour fournir les conditions de travail nécessaires aux salarié·es.
1 Chargé d’étude en économie à la Dares
2 Professeur associé à TBS Education
3 Secrétaire nationale de l’Ugict-CGT
4 Post-doctorante en sociologie à la chaire la Chaire Transformation des Organisations de Sciences Po
5 Chargée d’études et prospective à l’IDET
6 Directeur de l’environnement de travail et de la sécurité à BNP Paribas Personal Finance et secrétaire général adjoint en charge des études et de la prospective à l’IDET
7 Directrice des études et de la recherche
8 Responsable Recherche et Développement
9 Ingénieure d’étude
Alexandre Butin,
Consultant chercheur
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