Nos bureaux sont-ils devenus obsolètes ? C’est en tout cas ce qu’affirme la Chambre du Commerce et de l’Industrie (CCI) dans une étude prospective sortie en Juin 2024 sur le « bâtiment serviciel »1. Dans cette étude, La CCI nous invite donc à repenser l’usage de nos actifs immobiliers pour qu’ils répondent aux nouvelles demandes des utilisateur·rices. Comment ce nouveau modèle immobilier s’inscrit ou révolutionne notre manière de concevoir les espaces de bureaux ?
Des services généraux au bâtiment serviciel
Avec les évolutions récentes des pratiques de travail et aux enjeux écologiques, CCI fait le constat que les immeubles de bureaux ne sont plus adaptés aux usages des occupant·es. Ainsi elle propose dans son étude prospective de construire ou réhabiliter les actifs immobiliers sur le modèle du « bâtiment serviciel ». C’est-à-dire un bâtiment qui est pensé comme un service qui répond aux nouveaux usages des occupants, mais aussi des habitants.
La CCI présente le bâtiment serviciel comme une innovation dans sur le marché de l’immobilier, cependant la question des « services » dans les immeubles de bureaux n’est pas nouvelle. Depuis les années 1990, c’est un sujet au cœur des préoccupations des directeur·rices et responsables des services généraux (DRSG) et qui a participé à la formation de leur groupe professionnel2. Ainsi le bâtiment serviciel s’inscrit plutôt dans le prolongement d’une réflexion abordée depuis plusieurs années par ce groupe professionnel et qui porte aujourd’hui principalement sur les services à proposer pour faire revenir les salarié·es au bureau.
Si la gestion des services dans un immeuble de bureaux est un sujet qui a permis de structurer le territoire professionnel des DRSG, le bâtiment serviciel participe quant à lui à renforcer le brouillage des frontières professionnelles entre l’immobilier et les services généraux. En effet, l’étude de la CCI introduit une dimension plus immobilière des services. Dans le modèle du bâtiment serviciel, la valeur d’un bâtiment est fixée en fonction de ses usages ou de sa finalité. Cette « monétisation des usages » participe donc à faire de l’actif immobilier un service proposé aux bailleurs ou aux utilisateurs et non plus une surface disponible.
Les enjeux autour des méthodes de programmation des bâtiments serviciels
Un des plus gros enjeux de ce modèle immobilier réside principalement dans la programmation de ces bâtiments services qui doivent répondre à des usages multiples. Ils est donc nécessaire de « s’intéresser à ce que les gens font plutôt qu’à ce que les gens veulent », mais la CCI reconnaît que l’étude de ces comportements est difficile à anticiper car ils « font intervenir de puissants paramètres sociétaux ».
En effet, cela nécessite de repenser les outils et méthodes utilisés pour définir le programme du bâtiment. Ce travail de programmation n’a cessé d’évoluer depuis les années 1970, pour répondre aux demandes de plus en plus complexes de la maîtrise d’ouvrage3. Cependant, l’instauration de nouvelles pratiques de travail n’est pas sans difficulté dans les entreprises d’aménagement. Elles redéfinissent les rapports de pouvoir entre les différents « métiers » qui interviennent sur un projet, entraînant des conflits parfois difficile à résoudre pour les directions d’entreprises. C’est notamment le cas avec le développement des pratiques de conduite du changement, dont les compétences ne sont pas forcément reconnues comme légitime par tous les métiers de l’aménagement de bureaux.
De plus, les données recueillies par ces consultant·es en conduite du changement n’apparaissent pas toujours comme prégnantes dans les décisions d’aménagement prises par la maîtrise d’ouvrage du bâtiment. Les discussions lors de projet d’aménagement se focalisent principalement sur l’occupation du bâtiment et la proximité spatiale des équipes4. L’usage réel des salarié·es étant finalement que très peu pris en compte, ou à la marge, dans les discussions d’aménagement.
Une des solutions pour sortir de cette impasse réside principalement dans le développement de nouveaux outils d’intelligence artificielle permettant l’automatisation de certaines tâches fastidieuses, comme la réalisation des plans de space-planning (macro-zoning et micro-zoning). Cette automatisation d’une partie de travail d’assistance à maîtrise d’ouvrage permet de laisser plus de place au démarche de co-participation permettant de tenir compte des usages multiples des bâtiments serviciels dans la définition de leur programmes.
1 Chambre de l’Industrie et du Commerce, « Itinéraire du bâtiment serviciel. De la vente des services à la vente des usages », juin 2024
2 Gabrielle Schütz, « Se « recentrer » sur son « cœur de métier ». L’externalisation des services généraux des entreprises », Revue Française de Socio-Economie 23, n°2 (28 novembre 2019): 181-201
3 Olivier Chadoin, Etre architecte. Les vertus de l’indétermination, Sociologie & Sciences sociales (Limoges: Presse Universitaire de Limoges, 2017)
4 Alexandre Butin, « L’organisation spatiale du travail à l’épreuve de la financiarisation », Sociologies pratiques 44, n°1 (20 mai 2022): 93-104
Alexandre Butin,
Consultant chercheur
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